Un instrument à utiliser de nuit !
Alors que les nuits des étoiles filantes des Perséides[1] seront particulièrement intenses dans la nuit du 12 au 13 août 2020, le Musée de la Vie wallonne vous propose de découvrir un instrument nocturne : le nocturlabe.
L'institution muséale possède en effet dans ses collections 13 instruments d'orientation et de lecture de l'heure pendant la nuit, dont 5 nocturlabes. Ils font partie de la prestigieuse collection d'instruments léguée au Musée par le poète anversois Max Elskamp.
C'est en 1932, que le Musée de la Vie wallonne reçoit en legs, la collection d'instruments scientifiques de Max Elskamp. La raison de ce don demeure énigmatique. Certains disent que le poète aurait jeté son dévolu sur le musée wallon en souvenir de sa mère originaire d'Écaussinnes, et d'autres pensent qu'il avait des relations privilégiées avec le Musée en qualité de conservateur du Musée du Folklore à Anvers et conseiller pendant la création du Musée de la Vie wallonne. L'essentiel de la collection Elskamp consiste en cadrans et horloges solaires. Toutefois, il s'y trouve aussi des graphomètres, boussoles, sabliers, héliographes et astrolabes. C'est en réalité une collection d'instruments scientifiques divers, jadis en usage dans des domaines aussi différents que la topographie, la navigation maritime, la météorologie ou l'astronomie. Une partie de cette collection exceptionnelle de grande valeur est classée en tant que « trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles ».
Un nocturlabe ou nocturnal est un ancien instrument utilisé pour déterminer l'écoulement du temps, en fonction de la position d'une étoile dans le ciel nocturne.
Le nocturlabe issu du latin nocturnus (qui agit la nuit) et du grec Lambanein (saisir, prendre), est aussi appelé nocturnum Horologium. Une des premières mentions du nom nocturlabe est faite par Martín Cortés de Albacar dans son livre arte de navegar publié en 1551[2].
Complémentaire du cadran solaire, il indique donc l'heure de nuit. On ne peut pas réellement qualifier l'objet de « cadran », puisque c'est par l'observation de certaines étoiles que l'on déduit l'heure. L'instrument fut d'un usage assez courant en Europe entre le 16e et le 18e siècle.
Remontée dans le temps et l'espace !
On ignore l'origine du nocturlabe et l'époque où cet instrument est apparu. Les traces les plus anciennes de ce mystérieux objet remontent à un texte écrit aux alentours de l'an mil par Gerbert d'Aurillac[3], également connu sous le nom de Sylvestre II ou encore pape de l'an mille. Ce pape était bien plus intéressé par les questions scientifiques que par les questions religieuses. C'est d'ailleurs lui qui a introduit chez nous les chiffres indiens, plus connus sous le nom de chiffres arabes.
Au 12e siècle, un des manuscrits conservé à Avranches[4] montre un moine du Mont-Saint-Michel utilisant un ancêtre du nocturlabe. La lecture stellaire permettait sans doute aux moines de l'époque de s'assurer du moment des prières nocturnes.
C'est en 1580 - 1581 que Michel Coignet[5], pour la première fois, décrit et explique le fonctionnement d'un nocturlabe dans un traité sur la navigation Nieuwe onderwysinghe op de principaelste puncten der zeevaert en 1580, imprimé à Anvers par Jaques Heinrick, et traduit en français par Coignet l'année suivante sous l'intitulé : Instruction des points les plus excellents et nécessaires touchant l'art de naviguer en 1581.
On sait que les navigateurs, du 16e au 18e siècle, utilisent cet instrument pour déterminer l'heure locale la nuit lorsqu'ils sont en mer. Certains nocturlabes permettent même de préciser la latitude et de calculer le moment de la marée haute dans les ports. Un navigateur pouvait réaliser une lecture avec une précision de plus ou moins 15 minutes malgré le tangage et le roulis des navires.
Le nocturlabe fut utilisé pour la navigation au moins jusqu'au milieu du 18e siècle comme l'atteste la découverte faite en 1981 d'un nocturlabe anglais dans l'épave du « Maidstone », un vaisseau anglais échoué sur les côtes de Noirmoutier en 1747.
De quoi se compose cet instrument nocturne ?
Les nocturlabes sont usuellement faits de bois, d'ivoire ou de laiton.
Les éléments de base sont un disque avec un calendrier, un autre avec des heures, un trou central et une latte appelée alidade[6]. Dans certains cas, on peut y voir aussi d'autres éléments comme un calendrier astrologique, une table de correction de latitudes ou un aspectarium. Ce dernier élément consiste en une ouverture circulaire dans un disque qui permet de voir l'aspect ou la phase de la lune. Le disque des heures et l'alidade pivotent autour du trou central. Le disque des heures est généralement fixe. L'instrument peut être équipé d'un manche permettant de le tenir plus facilement.
Le nocturlabe se décline en trois modes : l'instrument seul, l'instrument associé à un autre -tel qu'un cadran solaire-, ou encore l'instrument devient un composant d'un nécessaire astronomique (compendia).
Quelle utilisation peut-on en faire ?
Dans l'hémisphère Nord, toutes les étoiles semblent tourner autour de l'étoile Polaire durant la nuit. Tout comme la position relative du Soleil par rapport à la Terre pendant la journée, la position des différentes étoiles peut servir à déterminer l'heure. Les positions des étoiles changent cependant en fonction de l'époque dans l'année. Le cercle externe du nocturlabe permet d'ajuster la position des principales étoiles de référence vis-à-vis de l'étoile Polaire pour un mois donné de l'année.
Les étoiles de référence les plus utilisées sont Dubhe et Merak de la Grande Ourse, ou l'étoile Kochab de la Petite Ourse. L'étoile Shedar de Cassiopée peut également être utilisée[7].
Pour utiliser le nocturlabe, on règle d'abord la date du jour de l'observation, en mettant le grand index de minuit à la date sur le disque calendrier. Le but est de pouvoir convertir mécaniquement un temps sidéral en temps solaire. Une fois la date réglée, on regarde l'étoile Polaire à travers le trou central, tout en le maintenant perpendiculairement à la ligne de visée. On fait pivoter l'alidade pour la faire coïncider avec l'étoile de repère. Il s'agit généralement des gardes de la Grande Ourse (Alpha et Bêta), les deux étoiles à l'extrémité du quadrilatère et relativement bien alignées avec l'étoile Polaire. La ligne de visée est parallèle à l'axe des pôles de la Terre.
En mettant l'instrument perpendiculaire à cet axe, on le rend parallèle au plan de l'équateur.
Certains instruments, richement décorés, ont été conçus comme des bijoux et ne pouvaient être utilisés de façon correcte et efficace. Fin du 18e siècle, la fabrication des nocturlabes tend à disparaître. En effet, l'horlogerie ayant entre-temps fait des progrès considérables, l'accès à l'heure est plus facile.
Un récolement des nocturlabes conservés au Musée de la Vie wallonne est en cours et consultable depuis notre catalogue en ligne : http://collections.viewallonne.be
Bibliographie
Traité du nocturlabe, B. Baudoux, 2014.
Inventaire des instruments scientifiques historiques conservés en Belgique, Bruxelles, Centre national d'Histoire des Sciences, 1959.
« Les instruments anciens – le nocturlabe », dans Le Ciel, n° 75, p. 96-97, Y. Nazé.
« La collection de cadrans solaires de Max Elskamp », dans EMVW, tome III, 1931-1935.
Manon Collignon – Responsable de la collection objets et des réserves du Musée de la Vie wallonne.
Légende des illustrations :
0) Nocturlabe en laiton, 18e siècle.
1) Nocturlabe en laiton, 1584.
2) Nocturlabe en laiton, 1584. Détail présentant l'aspectarium.
3) Nocturlabe en laiton, 18e siècle.
4) Nocturlabe en laiton associé à un cadran solaire, 18e siècle. Face présentant le cadran solaire horizontal avec heures 4-12-8 et une boussole.
5) Nocturlabe en laiton associé à un cadran solaire, 18e siècle. Détail présentant le nocturlabe.
6) Nécessaire astronomique également appelé compendia, Michael Tobias Hager, Allemagne, 1620.
7) Nécessaire astronomique également appelé compendia, Michael Tobias Hager, Allemagne, 1620. Détail présentant le nocturlabe.
8) Nocturlabe en ivoire, 18e siècle.
9) Gravure expliquant l'usage d'un nocturlabe, 16e siècle.
10) Nocturlabe en laiton dans une monture de bois, 18e siècle.
11) Schéma d'un nocturlabe.
[1] Les Perséides sont un essaim de météores (ou pluie d'étoiles filantes) visible dans l'atmosphère terrestre, constitué de débris de la comète Swift-Tuttle. Elles sont l'une des plus anciennes pluies de météores recensées par écrit. Les premiers rapports datent de l'an 36 en Chine et de l'an 811 en Europe. Entre 1864 et 1866, Giovanni Schiaparelli remarque que les Perséides ont une orbite très semblable à celle de la comète Swift-Tuttle. Cette découverte lui permet d'expliquer l'intensité des Perséides en raison de la trajectoire de cette comète, qui a une orbite d'environ 130 ans.
[2] Harriet Wynter et Anthony Turner,Scientific Instruments, Studio Vista, 1975.
[3] A la fin d'un manuscrit des Sententiae astrolabii attribué au Pape Sylvestre II et conservé à Chartres, on trouve une image illustrant l'utilisation du nocturlabe.
[4] Avranches est une commune française située dans le département de la Manche en Normandie. Cette commune est également connue pour y abriter le Scriptorial, musée des manuscrits du Mont Saint-Michel.
[5] Coignet, Michel : mathématicien et ingénieur flamand (1549-1623)
[6] Une alidade, issu de l'arabe al-îdhada (règle, instrument de traçage et de mesure), est une réglette mobile en rotation autour de l'axe vertical ou horizontal d'un instrument permettant la mesure d'angle.
[7] Wikipedia.org /wiki/Nocturlabe (B. Baudoux, Traité du nocturlabe, 2014.)