De la nécessité d'avoir des yeux dans le dos...
Plaisanteries, tromperies, farces et autres sont liées au « poisson d'avril » le premier jour du même mois.
Un poisson de papier accroché dans le dos d'une « victime » minutieusement désignée, accompagné de l'exclamation « poisson d'avril ! » et la facétie provoque l'hilarité ! Les médias ne sont pas en reste si on en croit les fausses informations publiées le jour-même dans la presse, les canulars diffusés en radio, à la télévision et sur le Net. Mais d'où vient cette tradition ?
Hypothèses sur les origines…
L'origine du traditionnel et populaire « poisson d'Avril », demeure encore hypothétique. Certains évoquent les sources historiques quand d'autres mettent en avant des sources liturgiques ou astronomiques (« En avril, le soleil quitte le signe du zodiaque des Poissons… ») ! Mais « (…) à vouloir expliquer la genèse d'une tradition, on compromet son existence et on déflore la saveur. Affirmer cela, c'est ni plus ni moins, condamner toute la science folklorique[1] ».
Nous subissons une foule de traditions populaires sans réellement nous interroger sur leur véracité ou leur à-propos… Parmi les hypothèses les plus saugrenues tentant une approche de la tradition du « poisson d'avril », le dictionnaire de Trévoux[2] évoque l'altération qui « (…) fait dériver le mot « poisson » du mot « passion », par allusion à la Passion de Jésus Christ (…)[3] »
La Passion ayant eu lieu à l'approche des Fêtes de Pâques (en avril), il était aisé d'évoquer des coïncidences de dates…
Une autre hypothèse associe notre poisson farceur au maquereau ! Ce poisson, plus rare, à l'embouchure de nos rivières au début du siècle, et plus particulièrement avant le mois d'avril, aurait été affublé du surnom de « poisson d'avril » pour le distinguer des espèces alors plus communes et plus abondantes…
D'autres sources font également le rapprochement avec l'ouverture de la pêche à la ligne. Quand le poisson ne cédait pas à l'hameçon, le pêcheur rentrait bredouille et n'échappait pas aux quolibets !
Une date qui changera les habitudes!
Quoi qu'il en soit, la date de 1564 semble être la source historique la plus souvent évoquée. À cette époque, le calendrier fixait le début de l'année en date du 1er avril. Charles IX, roi de France, décida, par l'Édit de Roussillon, que l'année ne commencerait plus le 1er avril, mais le 1er janvier. L'ordonnance sera enregistrée au Parlement trois ans plus tard.
« Ce changement bouleversa bien des habitudes (…) les étrennes, (…) ainsi que les souhaits du nouvel-an, durent évidemment s'échanger le 1er janvier. On en continua pas moins, le 1er avril, à se livrer, par dérision, à des congratulations moqueuses et à des libéralités burlesques[4] ».
« Li prumî djou d'avri, on fait aller qwèri »
Mais les traditions s'étiolent avec le temps et l'évolution des sociétés : le poisson d'avril est plutôt fade de nos jours. « Il n'est pas si loin le temps où chaque atelier, chaque usine, chaque administration, chaque entreprise, chaque caserne appliquait le dicton : Li prumî djou d'avri, on fait aller qwèri (Le premier jour d'avril, on fait aller chercher) [5] ». Commis, apprentis, bleus et domestiques étaient réquisitionnés pour des missives toutes aussi absurdes qu'improbables. Charriés et moqués, ces sympathiques victimes naïves provoquaient l'hilarité générale.
Dans La Feuille d'Annonce du 21 février 1926, le journaliste René Lepers corroborait ces propos comme tels : « Actuellement, les poissons d'avril n'existent que par l'envoi de cartes postales ; mais jadis, le 1er avril était consacré aux plus abominables farces. Et c'étaient toujours les plus jeunes et les plus naïfs, les benêts et les lourdauds qui faisaient les frais de la journée et étaient les victimes des farceurs qui riaient sous cape ».
La presse et ses annonces
« Les Journaux se mettaient de la partie. Tous sans exception. Ils annonçaient l'arrivée à la Gare du Nord d'Ecossais dans leur costume régional, des acrobaties aériennes de l'aviateur français Pégoud au-dessus du Bois de la Cambre, la visite de Léopold II au Grand Serment des Arbalétriers, (…)[6] ».
La presse liégeoise regorge également d'exemples d'annonces farfelues, publiées le premier avril ! En 1924, dans les colonnes de la Dernière Heure, on annonçait la venue de l'actrice Greta Garbo à Liège, supposée tête d'affiche dans un film historique tourné en Allemagne ! Le journal Les Annonces liégeoises, en 1939, annonçait le transfert d'une partie du Zoo d'Anvers à Liège…
Les cartes postales
Les cartes postales illustrées et publiées à l'occasion du 1er avril avaient plusieurs fonctions. Elles pouvaient exprimer le sentiment d'empathie du destinataire pour qui la recevait ou être plus taquines ! Dans le premier cas, l'amoureux transi pouvait exprimer sa flamme anonymement… En revanche, les cartes plus taquines pouvaient s'avérer plus médisantes voire calomnieuses. C'est d'ailleurs ce que dénonçait le Soir du 2 avril 1903 : « C'est aux vitrines des papetiers, la série compacte des images du 1er avril, petits cartons ignobles où sous lithographie de mauvais goût, s'épanouit quelque quatrain grossier et injurieux. Quiconque veut, sans se compromettre, adresser une diffamation anonyme à quelqu'une trouve la besogne toute faite (…) Il n'y a qu'à jeter la chose à la poste. »
Et ailleurs ?
April Fool's Day (« Jour des fous d'avril ») est l'équivalent de notre « poisson d'avril » au Royaume-Uni, mais également aux États-Unis, en Australie,… Cependant, la tradition du 1er avril est reliée à la tradition médiévale de la fête des fous (carnaval de fin mars) ! En Écosse, on fête le Huntigowk Day et on prolonge cette journée de la farce jusqu'au 2 avril. En Pologne, on nomme ce jour Prima Aprilis et en Roumanie, à la păcăleală de 1 aprilie, « il ne faut pas se laisser tromper si l'on ne veut pas être trompé pendant toute l'année ! »
En France, comme en Belgique, en Suisse ainsi qu'en Italie et au Canada, on colle des poissons en papier au dos d'autres personnes sans qu'elles ne s'en aperçoivent. En revanche, les blagues ne sont autorisées qu'en matinée aux Pays-Bas car si elles se faisaient durant les après-midis, elles amèneraient la malchance ! En Inde, on associe ce jour à la Fête de la Holi au cours de laquelle autochtones et touristes se lancent des pigments de couleurs, alors qu'au Portugal, on jette de la farine au visage de ses amis pour célébrer dia das mantiras (le jour des mensonges)…
Et, en cette année 2021, marquée par la prolongation de la crise du Covid-19, que va nous réserver la presse comme canular ? En attendant, découvrez quelques archives déroutantes issues des collections du Musée de la Vie wallonne…
J.-M. Stockem, Collaborateur au département des Archives générales.
Légendes des illustrations :
1. Carte postale porte-bonheur du 1er avril, 1957.
2-3. Carte postale fantaisiste et humoristique du 1er avril avec légende en vers, 1967.
4. Ch. Bartholomez, Poème contant un poisson d'avril fait à un barbier, 1902.
5. Carte postale fantaisiste et humoristique du 1er avril avec légende en vers.
6. R. Bauffe, Poème dans lequel l'auteur décrit la tradition du poisson d'avril, 1991.
7. Carte postale du 1er avril, envoyée en gage de bons vœux ou en témoignage d'affection, [1ère moitié du 20e siècle].
8. Carte postale du 1er avril, envoyée en gage de bons vœux ou en témoignage d'affection, [début du 20e siècle].
9. Carte postale illustrée envoyée à l'occasion du premier avril.
10. Poème évoquant les promesses faites au moment des élections, qui sont autant de poissons d'avril.
[1] « L'origine du poisson d'avril », dans L'Union Civique, Bruxelles, le 01/04/1930.
[2] Ouvrage historique synthétisant les dictionnaires français du XVIIe siècle rédigé sous la direction des Jésuites entre 1704 et 1771 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictionnaire_de_Tr%C3%A9voux)
[3] « Quelle est l'origine des poissons d'avril ? », dans Le Soir, Bruxelles, avril 1931.
[4] Ibidem
[5] COLSON Oscar, Wallonia, XI, 1903, pp.54-56.
[6] « Les Poissons d'Avril d'autrefois », dans Le Soir, Bruxelles, le 04.04.1953.