Musée de la Vie wallonne

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Focus

Au bord du précipice

Affiche léopoldiste, 1950

La Question royale : quinze années de déchirures et de tensions !

Le Musée de la Vie wallonne conserve dans ses collections de nombreux témoignages de cette crise majeure de notre histoire qui conduisit notre pays au bord de la guerre civile.

Phénomène complexe, la Question royale a fourni une matière à réflexion à de nombreux journalistes, historiens ou essayistes. Les livres relatifs à cette période sont légion. Dès lors nous nous concentrerons ici sur les faits principaux en essayant –autant que faire se peut- d'adopter un angle de vue aussi objectif que possible.

Dès 1936, les militants wallons commencent à critiquer le roi Léopold III de manière de plus en plus ouverte. En cause ? La « politique d'indépendance » voulue par le souverain, politique qui renvoie dos à dos la France de la IIIe République et l'Allemagne hitlérienne, considérées toutes deux comme des nations potentiellement hostiles. La non-intervention dans la guerre civile espagnole irrite la gauche. Enfin en septembre 1939, au moment où l'armée allemande entre en Pologne, la réaffirmation de la neutralité est un dernier signe de faiblesse face aux états totalitaires.

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes entrent sur le territoire belge. Rôdées par l'invasion de la Pologne, la Wehrmacht et la Luftwaffe pratiquent une blitzkrieg qui terrasse notre armée en dix-huit jours. Durant la campagne, les rapports entre Léopold III et le gouvernement Pierlot-Spaak ne cessent de se détériorer. Lors de l'entrevue de Wynendaele du 25 mai, les ministres poussent le roi à partir à l'étranger pour continuer la lutte. En tant que chef de l'armée, le Roi ne peut se résoudre à ce départ qu'il appelle une « désertion ». Dès lors, la rupture entre le souverain et son exécutif est consommée. Le 17 juin, les Allemands entrent à Bruxelles ; le 18 la Belgique capitule, alors que d'aucuns préconisent un repli sur la France pour continuer la lutte. Cette défection provoque l'ire des Alliés, particulièrement celle des autorités françaises. Fait symbolique, le Roi est radié de l'ordre de la Légion d'honneur où il avait le grade de grand'croix. Il sera placé par les autorités allemandes en « résidence surveillée » au château de Laeken alors que ses soldats sont emmenés en captivité. Les parlementaires et les ministres se réfugient en France. Le 31 mai 1940, les Chambres se réunissent à Limoges et votent une résolution qui stigmatise l'attitude du Roi, en voici un extrait : « Les sénateurs et représentants belges résidant en France, exprimant à l'unanimité leurs sentiments, flétrissent la capitulation dont Léopold III a pris l'initiative et dont il porte la responsabilité devant l'histoire ; se déclarent solidaires du Gouvernement qui a constaté l'impossibilité de régner ». C'est à l'automne 1940 que les principaux ministres dont Pierlot (Premier ministre) et Spaak (ministre des Affaires étrangères), rejoignent la capitale britannique où les ont précédés leurs collègues Devleeschouwer (ministre des Colonies) et Gutt (ministre des Finances), formant ainsi le gouvernement de Londres.

Dès le 31 mai 1940, des tractations ont lieu pour l'organisation d'une rencontre entre le führer et le « prisonnier » de Laeken. Elle a lieu à Berchtesgaden, la résidence bavaroise d'Hitler, le 19 novembre 1940. Il y est question de l'indépendance de la Belgique. Hitler y développe ses vues, conformes à sa doctrine d'un « nouvel ordre européen » : tous les pays occupés doivent collaborer sur le plan économique car la guerre peut être longue ; la Belgique, comme la Hollande, doivent servir de glacis pour protéger l'Allemagne. Les domaines de la politique de défense et de la politique extérieure leur sont soustraits ; seule la politique intérieure incombera à nouveau à ces petits pays, après la victoire finale.

Autre grief adressé au Roi par ses détracteurs les plus virulents, son remariage. Le 11 septembre 1941, six ans après le décès accidentel de la reine Astrid, Léopold épouse religieusement et en secret Lilian Baels, future princesse de Rethy. Le mariage civil aura lieu deux mois plus tard. En ne respectant pas la Constitution qui prescrit l'antériorité du mariage civil sur les noces religieuses, Léopold III prête évidemment le flanc à la critique.  D'autant que la population subit les rigueurs de l'Occupation et que plus de 60.000 prisonniers wallons et bruxellois francophones sont retenus dans les camps en Allemagne alors que les soldats flamands quittent les stalags et les oflags, conformément aux instructions d'Hitler datées du 14 juillet 1940 : « il faut favoriser les Flamands, mais n'accorder aucune faveur aux Wallons ».

Le 7 juin 1944, le Roi est emmené à Hirhstein sur Elbe ; il y sera bientôt rejoint par son épouse et les princes royaux. Lorsque l'avance des Alliés s'accentue, la famille royale est déplacée en Autriche, en mars 1945. Le 7 mai, la veille de la capitulation allemande, les troupes américaines libèrent Léopold et ses proches.

Les ministres du gouvernement de Londres rentrent le 8 septembre 1944 ; le 20, le prince Charles est élu par les Chambres réunies régent du Royaume.

Dès le mois de mai 1945, les grands clivages de l'après-guerre se manifestent. Le Parti social-chrétien (PSC), de création récente, se positionne, dès le 8 mai, pour la reprise automatique du pouvoir par Léopold. De son côté, le bureau du Parti socialiste belge (PSB) se prononce pour une abdication du Roi dès qu'il rentrera au pays. Le Parti communiste (PC) adopte la même attitude. Le Parti libéral, acquis depuis sa création au principe de la monarchie, louvoie dans un premier temps ; certains de ses dirigeants sont favorables à l'effacement mais ses instances hésiteront un certain temps à prendre position.

Le parlement vote la loi sur l'impossibilité de régner le 19 juillet 1945. En septembre de la même année, Léopold III quitte l'Autriche pour s'installer en Suisse, à Prégny. Les élections législatives du 17 février 1946 confirment qu'il n'y a pas de majorité favorable au retour du Roi. Le PSC s'efforce d'organiser une consultation populaire mais le gouvernement Spaak s'y oppose.

En 1948, le fils aîné du roi Léopold, le prince Baudouin a dix-huit ans. Il serait donc loisible à Léopold III de lui déléguer ses prérogatives, ce qui mettrait fin à la régence. Mais le roi s'y refuse car il ne veut pas abdiquer sans consultation populaire préalable.

Léopold III fait venir à Prégny des leaders politiques pour tâter le pouls du pays et envisager un retour sur le trône. En octobre 1949, le catholique Gaston Eyskens forme un gouvernement social-chrétien libéral. L'exécutif se rallie à l'idée d'une consultation populaire. Celle-ci doit avoir lieu le 12 mars 1950. Il est convenu que les résultats seront dépouillés par arrondissements, ce qui permettra de connaître la répartition des votes par région. Dès lors, la campagne bat son plein. Les partisans du « oui », favorables au retour du Roi, affûtent leur propagande, soutenus indéfectiblement par le cardinal Van Roey, archevêque de Malines. En face les adeptes du « non » mobilisent leurs ténors dans une multitude de meetings. Les affiches fleurissent dans toutes les localités du pays. Les laïcs s'opposent aux catholiques, les Wallons aux Flamands, les résistants aux collaborateurs ; le Belgique n'a jamais été autant divisée.

Les résultats de la consultation tombent : 57,68 % des Belges se prononcent pour le retour du Roi. Si la Flandre soutient massivement le Roi alors que Bruxelles vote en majorité « non », la situation en Wallonie est contrastée : les centres urbains sont clairement hostiles au souverain alors que le « oui » triomphe dans les arrondissements de Dinant-Philippeville et de Verviers ainsi que dans la totalité de la Province de Luxembourg.

Le résultat global suggère donc un retour de Léopold III sur le trône. Mais la colère gronde, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) lance une grève générale, les manifestations se multiplient aussi bien à Bruxelles qu'en Wallonie mais aussi dans certaines villes flamandes.

Les libéraux refusent la convocation des chambres réunies et le vote sur la fin de l'impossibilité de régner. La démission du gouvernement est remise au Régent le 18 mars 1950. Les élections organisées le 4 juin 1950 offrent au PSC la majorité absolue. Un gouvernement homogène est constitué : il est présidé par Jean Duvieusart qui se rend à Prégny pour préparer le retour du souverain.

Le Roi rentre au pays le 22 juillet et la Belgique entre dans une période de quasi guerre civile. Des manifestants occupent des rues à Bruxelles et le sillon industriel wallon vit une situation insurrectionnelle. Les ministres d'État socialistes adressent une lettre de démission au Premier ministre et le bureau du parti libéral demande au roi d'abdiquer. Les charbonnages se mettent en grève ; les attentats et les sabotages se multiplient alors que les forces de l'ordre, appuyées par l'armée, se déploient sur tout le territoire. Le 28 juillet les milieux socialistes lancent l'idée d'une marche sur Bruxelles qui doit avoir lieu le 30. Mais les événements se précipitent. De nombreux meetings sont organisés à travers le pays. C'est le cas à Grâce-Berleur où une foule importante se masse pour écouter les orateurs du jour. La gendarmerie fait feu ; on dénombre trois morts. Une quatrième victime succombe à ses blessures cinq jours plus tard. Ce choc et la menace d'une marche sur Bruxelles vont pousser Léopold III à l'effacement. Il délègue ses pouvoirs au prince Baudouin le 2 août 1950. La marche sur Bruxelles se transforme en manifestation festive où les partisans du « non » laissent éclater leur joie.

Le prince Baudouin prête serment devant les chambres le 11 août 1950. Lorsqu'il lève la main, un cri retentit : « Vive la République ». Il sera attribué au député communiste liégeois Julien Lahaut qui sera assassiné sur le seuil de sa porte le 19 août. Pendant près d'un an le futur Roi va exercer les pouvoirs d'un régent sous le titre de « Prince royal ».

Le 17 juillet 1951, Baudoin prête le serment constitutionnel au Palais de la Nation et devient le cinquième roi des Belges. Il est accueilli par les vice-présidents du Sénat et de la Chambre, deux socialistes wallons Léon Matagne et François Van Belle.

Retrouvez sur notre catalogue en ligne une sélection d'archives sur la Question royale : http://collections.viewallonne.be?queryid=d6271fe9-66af-4591-8ec4-8959a9aa1b5c

Fabrice Meurant-Pailhe, responsable du Fonds d'Histoire du Mouvement wallon.

Bibliographie sélective

  • H. DORCHY, Histoire des Belges: des origines à 1991, Bruxelles, 1991, p. 193–195.
  • V. DUJARDIN, M. DUMOULIN et M. Van den Wijngaert (dir.), Léopold III, Bruxelles, 2001.
  • M. DUMOULIN, E. GERARD, M.VAN DEN WINNGAERT, Nouvelle Histoire de Belgique, Volume II : 1905-1950, Bruxelles, 2006.
  • LEOPOLD III, Pour l'Histoire, Bruxelles, 2001.
  • J. DUVIEUSART, La Question royale. Crise et dénouement, juin, juillet, août 1950, Bruxelles, 1976.
  • Encyclopédie du Mouvement wallon, sous la dir de P. DELFORGE, Ph. DESTATTE et M. LIBON, t.III, Charleroi, 2001.
  • J. GERARD-LIBOIS et J. GOTOVICH, Léopold III. De l'an 40 à l'effacement, BRUXELLES, 1991.
  • S. MOUREAUX, Léopold III. La tentation autoritaire, Bruxelles, 2002.
  • J. STENGERS, Aux origines de la question royale. Léopold III et le gouvernement. Les deux politiques belges de 1940, Paris-Gembloux, 1980.
  • J VANWELKENHUYZEN, Quand les chemins se séparent. Aux sources de la question royale, Gembloux, 1988.
  • A. DE STAERKE, Mémoires sur la Régence et la Question royale, Bruxelles, 2003

Illustrations

  1. Affiche léopoldiste, 1950.
  2. Affiche léopoldiste, 1950.
  3. Dessin paru dans Le Cri du Peuple du 28 février, 1950.
  4. Dessin paru dans Le Gaulois du 18 mars 1950.
  5. Le pont des Arches fermé à la circulation, Liège, le 27 juillet 1950.
  6. Les forces de l'ordre sur la place de Coronmeuse, Liège, juillet 1950.
  7. Lettre de convocation à la consultation populaire du 12 mars 1950.
  8. Manifestation anti-léopoldiste, Liège, rue pont d'Avroy, 24 mars 1950.
  9. Première page d'un tract réclamant l'abdication du Roi, 1950.
  10. Première page d'un tract anti-léopoldiste.
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