Musée de la Vie wallonne

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Focus

Naissance de la dernière ville de Wallonie

Déclaration épiscopale du 13 mai 1966 sur Louvain

De la scission de l’Université de Louvain à la création d’une ville nouvelle

Dans son livre de souvenirs, le militant récemment décédé Yves DE WASSEIGE consacrait une page à la scission de l'Université de Louvain. Ingénieur civil diplômé de l'école des mines de Louvain (1950), licencié en sciences économiques de cette même université (1951), membre actif du Mouvement ouvrier chrétien et du groupe Rénovation wallonne, Yves de Wasseige ne pouvait pas passer sous silence les événements qui menèrent à la scission de son Alma mater.

Fondée en 1425, l'Université catholique de Louvain (UCL) voit se côtoyer des étudiants et des professeurs du nord et du sud du pays. Pendant des siècles, l'ambiance est harmonieuse. On déplore quelques tensions à partir des années 1880 mais ce sont des faits isolés, comme ce jour de 1924 où un étudiant wallon tire sur un condisciple flamand parce que ce dernier participait à un congrès pan-néerlandais. Les autorités interdisent à ce Wallon irascible de remettre les pieds dans la cité universitaire.

Dans les années 1930, les cours sont dédoublés, une section flamande coexiste avec la section « française ». Après la période d'épuration consécutive aux collaborations politiques et économiques du second conflit mondial, le Mouvement flamand commence à se restructurer et à sortir ses griffes. Le Vlaamse Volksbeweging déclare après les élections de 1961 que « toutes les sections francophones de l'enseignement supérieur encore présentes en Flandre doivent être supprimées ou transférées dans la région francophone ». La Volksunie, parti nationaliste, passe d'un à cinq élus lors de ce scrutin. Le Katholiek Vlaams Hoogstudenten (KVH) n'est pas en reste et certaines manifestations dégénèrent.

La démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur engendre un accroissement régulier du nombre d'étudiants ; il apparaît que l'université commence à se sentir à l'étroit dans la vieille ville brabançonne. Pression démographique, renforcement du Mouvement flamand, homogénéisation des régions linguistiques : tous les ingrédients sont réunis pour provoquer des tensions de plus en plus vives.

Il n'est plus question d'accorder des facilités aux francophones et encore moins de faire de l'arrondissement de Louvain un arrondissement bilingue. En février 1962, l'Association du corps académique et du personnel scientifique de l'Université de Louvain (ACAPSUL) voit le jour. Une motion de ce groupement francophone rejette le principe de l'unilinguisme territorial, arguant du caractère national de l'Université qui facilite la rencontre des deux communautés. Le KVH dénonce la volonté des francophones de créer une école de caste et la presse flamande tire à boulets rouges sur cette motion. L'idée d'un transfert de la section française dans le Brabant wallon, juste de l'autre côté de la frontière linguistique, commence à faire son chemin.

Aux cris de Walen buiten et Leuven Vlaams, les forces flamingantes, emmenées par des leaders comme Wim MAES, durcissent le ton ; les barbouillages fleurissent sur les murs de Louvain et les bris de vitres se multiplient. Le 28 février 1962, une manifestation réunit 3.000 étudiants francophones. Ils vont se heurter à 1.200 contre-manifestants. Les gendarmes essaient de s'interposer mais les étudiants et lycéens flamands se mettent à dépaver la chaussée et à lancer des projectiles contre les forces de l'ordre.

Nombreuses sont les escarmouches entre les autorités universitaires, l'ACAPSUL et son pendant flamand, le Vereniging der Leuvense Professoren. Pour les étudiants flamands il est hors de question de maintenir certaines candidatures à Louvain, hypothèse un moment envisagée pour calmer les uns et les autres.

Le 13 mai 1966, les évêques de Belgique, qui constituent le pouvoir organisateur de l'UCL, se réunissent. Cette conférence épiscopale, chapeautée par l'archevêque Léon-Joseph SUENENS, adopte un mandement rendu public le 15 mai. Dans cette déclaration, les prélats affirment le principe d'unité. Il s'agit de « l'unité institutionnelle et fonctionnelle de l'Alma mater ainsi que de son unité géographique qui la situe à Louvain ». La déclaration précise : « il n'est pas question, ni dans l'immédiat, ni par étapes, d'établir une nouvelle Université d'expression française ou néerlandaise, ni de diviser le patrimoine, ni de démanteler d'aucune manière l'Université de Louvain. Nous nous refusons à envisager deux Universités catholiques dans notre pays, même si la réalisation en était financièrement ou politiquement possible ». Le mandement affirme reconnaître l'autonomie légitime de chaque section dans le cadre de l'unité. Conscients de l'augmentation constante du nombre d'étudiants inscrits à l'UCL (2000 unités en plus par an), les évêques envisagent un dédoublement des candidatures.

On s'en doute, l'opinion des évêques fait l'effet d'une douche froide chez les étudiants flamands. Le KVH, par exemple, déclare dès le 15 mai que « le Mandement est la méconnaissance la plus flagrante, par l'épiscopat, des revendications flamandes ». La presse flamande se déchaîne également. Le député catholique d'Audenaerde, Jan VERROKEN, dépose le 17 mai, une proposition de loi selon laquelle tous les cours mais aussi les séminaires et les travaux de recherches doivent se dérouler en néerlandais au nord du pays, et en français dans le sud ; à Bruxelles on pourrait recourir à l'une ou l'autre langue. Cette proposition de loi ne sera pas prise en considération mais provoque l'opposition de nombreux mandataires sociaux-chrétiens du sud du pays.

On s'en doute, les tensions vont perdurer et l'année 1968 constitue sans doute le climax des oppositions souvent violentes entre flamands et francophones. Lorsque les partis politiques se penchent sur « l'affaire de Louvain », la vie du pays se trouve totalement bouleversée. Le Parti social-chrétien est profondément divisé et le Premier ministre Paul VANDEN BOEYNANTS remet sa démission au Roi Baudoin le 7 février 1968.

La campagne électorale consécutive à cette démission voit s'affronter les ailes flamande et francophone du Parti social-chrétien qui perdra son caractère unitaire. Les résultats de ce scrutin sont mauvais pour le parti chrétien mais permettent un net progrès des partis dits « communautaires » : le Front démocratique des francophones, le Rassemblement wallon et la Volksunie.

La section française de l'Université de Louvain doit déménager. L'UCL achète des terres agricoles situées sur la commune d'Ottignies, dans la partie francophone de la Province de Brabant. Peu à peu, Louvain-la-Neuve, sort de terre, sous l'impulsion décisive de l'administrateur de l'université, Michel WATRIN. Elle accueille toutes les facultés sauf la faculté de médecine qui migrera à Woluwe-Saint-Lambert et ouvrira ses portes en 1974.

Le 20 octobre 1972, la première rentrée académique a lieu en plein chantier ; certains étudiants se munissent de bottes de caoutchouc pour gagner les auditoires. Campus universitaire à ses débuts, Louvain-la-Neuve devient progressivement une vraie ville, grâce à la construction d'équipements collectifs : bibliothèque publique, crèches, écoles fondamentales et secondaires, infrastructures sportives, cinéma, théâtre, commerces, etc. L'expansion du parc scientifique et industriel accroît encore le rayonnement économique et social de cette partie du Brabant wallon. Ainsi est née, il y a 50 ans, la dernière ville nouvelle de Wallonie.

Redécouvrez ces archives sur notre catalogue en ligne : http://collections.viewallonne.be/#/query/6adb1f81-c4e3-4016-bdee-e1ad3adff064

Fabrice Meurant-Pailhe. Responsable du Fonds d'histoire du Mouvement wallon.

Bibliographie sélective :

Association du corps académique et du personnel scientifique de l'université de Louvain, L'opinion publique belge et l'université de Louvain. Enquête sociologique sur les problèmes de l'université et divers problèmes connexes, Leuven, 1967.

L'avenir de l'université de Louvain, Duculot, Gembloux, 1962.

Déclaration des évêques de Belgique au sujet de l'Université catholique de Louvain (13 mai 1966), Louvain, 1966.

GOFFART Vincent, « La crise de Louvain du 1er janvier au 31 mars 1968 », dans Res publica, vol. XI, 1969, p.31-76.

GOOSSENS P., « Louvain 68 », dans Synthèses, n°269, 1968, p. 82-89.

MASSAUX Edouard, Pour l'université catholique de Louvain. Le « Recteur de fer ». Dialogue avec Omer Marchal, Bruxelles, Didier Hatier, 1987.

ROYER Robert, L'université de Louvain et les problèmes wallons, 1964.

L'université de Louvain à Louvain, par un groupe de professeurs à l'université de Louvain, Louvain, 1968.

DE WASSEIGE, Yves, En cours de route : Souvenirs d'un militant, Charleroi, Couleurs livres, 2012.

WATRIN, Michel, Louvain-la-Neuve et Louvain-en-Woluwé. Le grand dessein, Gembloux, Duculot, 1987.

Légendes des illustrations :

1. Certificat de passage en deuxième année délivré à un étudiant de de l'UCL, 1869.

2. Déclaration épiscopale du 13 mai 1966 sur Louvain.

3 et 4. Manifestations flamingantes dans les rues de Louvain, dans le Pourquoi pas ? 25 janvier 1968, p. 4 et 5.

5. Couverture du Pourquoi pas ?, 25 janvier 1968. Hebdomadaire

6. Couverture du Pourquoi pas ?, 1er février 1968. Hebdomadaire

7. Couverture du Pourquoi pas ?, 1er février 1968. Hebdomadaire

8. Le chantier de Louvain-la-Neuve en octobre 1972. Photo extraite de l'ouvrage Louvain-la-Neuve. Louvain-en Woluwé. Le grand dessein

9. Détail d'une affiche éditée par l'UCLouvain et la commune d'Ottignies-Louvain-la Neuve, 2020.

10. Calotte d'étudiant de l'UCL, fin du 20e siècle

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