Petite histoire de l’armée belge et de son mode de recrutement au 19e siècle
Depuis l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe en février 2022, une guerre de haute intensité fait rage dans l'Est du continent européen. Entre 1945 et cette date, seule la Guerre en ex-Yougoslavie avait déchiré le voile de la « coexistence pacifique », leurre confortable dans lequel s'était endormie l'Europe occidentale.
En Belgique, la dernière levée de miliciens effectua son service en mars 1995. Cela fait donc trente ans que le service militaire a disparu et que les casernes se sont vidées des jeunes conscrits pour ne plus accueillir que des soldats de métier.
Depuis quelques mois, les discours martiaux se répandent dans la plupart des pays de l'Union européenne. L'idée d'instaurer à nouveau la conscription masculine fait son chemin dans certaines capitales. La France y songe. L'Allemagne aussi mais en y incluant aussi les femmes. Le ministre belge de la défense préconise, pour le moment, le recrutement de quelques centaines de jeunes sur base volontaire.
Comment le recrutement des soldats s'opérait-il au 19e siècle ? Après la Révolution de septembre 1830, il s'agit de créer rapidement une armée belge afin de protéger le pays contre un retour éventuel de troupes hollandaises sur le sol du jeune royaume. L'armée belge se constitue progressivement par la création de régiments d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie. La marine de guerre quant à elle, ne comporte que quelques vaisseaux jusqu'à la Première Guerre mondiale. Pour le maintien de l'ordre, un corps de police militarisé voit également le jour : la Gendarmerie. On trouve aussi une garde civique composée de fantassins et de cavaliers. Elle regroupe des citoyens qui s'entraînent le week-end sur un champ de manœuvres. La garde civique, répandue essentiellement dans les villes, est une sorte de milice bourgeoise destinée à réprimer les grèves et les manifestations.
A partir des années 1850, deux partis politiques existent en Belgique : le Parti libéral, le plus vieux d'Europe occidentale, créé en 1846. Quant aux Cercles catholiques qui lui sont opposés, ils forment le Parti catholique en 1884.
Le Parti libéral se positionne pour une armée forte alors que les Catholiques voient l'armée d'un mauvais œil. Le rassemblement de jeunes hommes dans des casernes ouvrent pour eux la voie à tous les vices : la débauche, l'alcoolisme, l'éloignement de la famille et du culte catholique.
« Après la déclaration d'indépendance du 4 octobre 1830, la Belgique conserve la loi de milice instituée antérieurement par le royaume uni des Pays-Bas. Celle-ci prévoyait que les forces armées devaient être constituées de préférence de volontaires, mais que l'effectif serait complété par des miliciens tirés au sort. Le contingent à appeler sera réparti entre les provinces et les communes, proportionnellement à leur population. Les régiments mélangent flamands et francophones, mais la langue usuelle du commandement est le français. [1] » En 1853, la loi établit des durées de service qui peuvent varier en fonction de l'affectation des jeunes recrues : de deux ans et quatre mois pour l'infanterie de ligne à quatre ans dans l'artillerie et la cavalerie. En 1847 une classe d'âge de miliciens compte dix mille hommes ; en 1884, treize mille trois cents.
Pour permettre la levée annuelle, chaque commune du pays convoque ses jeunes hommes ayant atteint l'âge de milice - 19 ou 20 ans selon la période - à un tirage au sort. Si une commune doit fournir 36 miliciens, les jeunes hommes ayant eu un numéro de 1 à 36, sont a priori, destinés au service militaire. Le tirage au sort s'opère via des petits papiers où sont inscrits le nom des appelés potentiels. Ces bouts de papier, roulés, sont insérés dans un tonneau ou tambour que l'on fait tourner et une main « innocente », souvent celle d'un gradé ou d'un mandataire politique, procède au tirage au sort des recrues. L'examen médical peut amener des exemptions pour raisons physiques : blessure importante, maladie grave ou taille inférieure à 1 m57. Admettons que deux hommes d'un village soient réformés, alors les numéros 37 et 38 remplaceront les exemptés.
Jusqu'en 1913, la loi de milice prévoit qu'un milicien appelé peut se faire remplacer par une autre personne apte au service militaire. Ainsi, des jeunes de milieux aisés peuvent échapper à leur obligation militaire par le remplacement, en payant un jeune homme habitant la même localité. Inégalité flagrante en fonction des revenus !
Heurté par l'iniquité de ce système, en décembre 1909, le roi Léopold II signe, sur son lit, de mort la loi instituant le service d'un fils par famille. Mais il faut attendre la loi du 30 août 1913 pour voir le début de l'application du service personnel obligatoire, soit moins d'un an avant l'invasion de la Belgique par les troupes allemandes.
Fabrice Meurant-Pailhe, Responsable du Fonds d'Histoire du Mouvement wallon
----------
Orientation bibliographique
« Conscription en Belgique », https://fr.wikipedia.org/wiki/Conscription_en_Belgique#:~:text=Apr%C3%A8s%20la%20d%C3%A9claration%20d'ind%C3%A9pendance,des%20miliciens%20tir%C3%A9s%20au%20sort (consulté le 28 mars 2025).
Pierre LECLERCQ, Histoire de la garde civique : l'exemple du bataillon des chasseurs-éclaireurs de Liège, Bruxelles, Labor, 2005.
Liliane et Fed FUNCKEN, Le costume et les armes et des soldats de tous les temps, t.2, de Frédéric II à nos jours, Tournai, Casterman, 1971.
Henri PIRENNE, Histoire de Belgique des origines à nos jours, t.4, De la révolution de 1830 à la fin de la Première Guerre mondiale, Bruxelles, La Renaissance du Livre (édition illustrée de 1948).
Légende des illustrations :
1. Tambour de tirage au sort contenant les numéros de tirage roulés, fabriqué à Bruxelles, entre 1860 et 1870.
MVW-5043049
2. Shako (couvert) de tenue de route d'officier d'artillerie, 1890.
MVW-5006354
3. Shako de soldat du 9e régiment d'infanterie de ligne, 1914.
MVW-5023758
4. Shako de soldat du 9e régiment d'infanterie de ligne (détail), 1914.
MVW-50223758
5. Statuette en bronze représentant un chasseur à pied de la garde civique de Liège,1910.
MVW-5026256
6. Cavalier du Régiment des Guides (avec sa trompette), carte postale, vers 1910.
MVW-2069240-03
7. Chasseur à pied, carte postale, vers 1910.
MVW-2069240-02
8. Compagnie d'infanterie au repos, carte postale, vers 1913.
MVW-2069239-02
9. Fantassin, carte postale, vers 1910.
MVW-2069239-01
10. Souvenir d'un conscrit. Dans un cadre figurent son portrait photographié et le numéro (1074) inscrit sur le papier roulé qu'il tira, à Liège, le 6 février 1909.
MVW-5045733
----------
[1] « Conscription en Belgique », https://fr.wikipedia.org/wiki/Conscription_en_Belgique#:~:text=Apr%C3%A8s%20la%20d%C3%A9claration%20d'ind%C3%A9pendance,des%20miliciens%20tir%C3%A9s%20au%20sort. (consulté le 28 mars 2025).