Musée de la Vie wallonne

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Focus

Denis Bisscheroux

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Des hommes et des marionnettes

L'histoire d'amour entre Liège et les marionnettes remontent maintenant à près de deux siècles. Au fil des années, bon nombre d'enfants se sont succédés sur les bancs des différents théâtres de marionnettes de la ville et de sa périphérie pour y acclamer Tchantchès, Nanesse et les différents personnages qui peuplent les théâtres.

Si nos héros de bois sont connus de tous, ceux qui leur donnent vie et leur prêtent leur voix le sont beaucoup moins. Et pourtant, sans eux, il ne peut y avoir de spectacles de marionnettes. Nous vous proposons donc de découvrir l'histoire de l'un d'entre eux : Denis Bisscheroux. Décédé il y a tout juste 50 ans, il est l'un des marionnettistes les plus réputés et est toujours considéré, aujourd'hui, comme l'un des meilleurs sculpteurs de marionnettes liégeoises.

Apprentissage et sculpture

Denis Bisscheroux nait, le 7 septembre 1884, à Liège. Comme beaucoup d'enfants de la Cité Ardente, il va avec son papa « aux marionnettes ». Le petit Denis fréquente assidument la salle de spectacle de Léopold Leloup, située en Outremeuse. Dans une interview réalisée, en 1956, par Joseph Paquay, il explique avoir appris l'ébénisterie dès l'âge de 14 ans mais aussi qu'il répare et joue aux marionnettes avec Léopold Leloup jusqu'en 1903.

Ayant étudié, « l'anatomie des races », à l'Académie des Beaux-Arts, il se lance dans la réalisation de marionnettes pour différents théâtres présents à Liège. Très vite, son talent de sculpteur est reconnu dans la profession et des confrères lui commandent des têtes pour les sujets du leurs théâtres (Messieurs Danthisne, Bawdin, Dochat, Houbiers pour citer les plus célèbres). La quantité de commandes est telle qu'un jour, Monsieur Dochat lui apporte un arbre entier d'aulne ! Notre jeune ébéniste doit le débiter et le monter dans sa chambre qui lui sert d'atelier !

« Ses têtes atteignent un réalisme et un raffinement étonnants. Il pratique un style aristocratique et sa formation d'ébéniste l'a rendu familier de la grammaire stylistique et des proportions classiques. Il fait de ses personnages de véritables individus, portraits. Sur les visages altiers des marionnettes se lisent leurs états psychologiques : tel semble soucieux, sévère, tel autre réjoui ou souriant. Les creux sont peints en gris ou en brun afin de renforcer leur effet. Les silhouettes sont élancées, les traits fins, les cheveux et les barbes finement méchés. Sa virtuosité investit les moindres détails, comme le dessin des oreilles ou le tracé des ongles ».

Le « Théâtre royal Ex impérial »

C'est en juin 1918 que Bisscheroux rachète, à la veuve d'Alfred Bawdin, le castelet du « Théâtre Impérial », situé au château des Grignoux depuis 1726. Il l'installe au numéro 20 en Roture le rebaptise « Théâtre royal Ex impérial ».

Le bâtiment datant du milieu du 18ème siècle arbore un bas-relief en pierre représentant un chaudron et possède, encore aujourd'hui, la ferronnerie d'époque. Bisscheroux installe une enseigne lumineuse (Théâtre royal de marionnettes ancien Impérial) qui se trouve actuellement au « Musée Tchantchès ». La minuscule cuisine sert, les soirs de spectacle, d'antichambre et de location. La façade du castelet n'est autre qu'un limonaire, le haut de celui-ci est surmonté d'une lyre. Dans les années 1980, par un concours de circonstances et grâce aux yeux habiles de la restauratrice mandatée par le « Musée Tchantchès » pour rafraîchir le rideau, la peinture originelle du castelet sera découverte : deux sublimes nymphes cachant d'un voile fin leur nudité.

Avec l'essor du cinéma et de la télévision, beaucoup de théâtres doivent mettre la clé sous le paillasson. Le théâtre de Bisscheroux n'est pas épargné. Pour survivre, il doit alors établir, en 1925, un contrat avec l'association des amis de la marionnette liégeoise réunissant des intellectuels et amoureux du folklore tels que Rodolphe De Warsage, Joseph Vrits, ou encore Joseph Mignolet. Ce contrat l'oblige à devenir dépositaire de son propre matériel (théâtre, marionnettes) contre une allocation annuelle de 2.000 francs. Il est tenu de jouer régulièrement sous peine de léguer son patrimoine à l'association. Le grand drame de cette histoire est que l'allocation n'est jamais indexée ! Il tient son théâtre ouvert jusqu'en 1962, date à laquelle il cesse toutes activités. Il finit sa vie, malade et dans la plus grande indifférence, au Valdor à Liège. Il meurt il y a 50 ans, en 1972 et repose depuis au cimetière de Robermont (zone verte 230).

Que reste-t-il de Bisscheroux ?

A la cessation des activités, dans les années 60, les amis des marionnettes liégeoises et les membres de la République Libre d'Outremeuse (Paul Dehousse, Henri Chalant, Henri Libert et d'autres) ressortent le fameux contrat de 1925 et commencent le déménagement des 129 marionnettes et du castelet du « Théâtre royal Ex Impérial » vers la rue Surlet. L'anecdote raconte que les habitants de Roture, forts attachés à leur théâtre, insultent les membres de la République considérant qu'ils leurs volent leurs marionnettes.

Depuis le 15 janvier 1967, les marionnettes de Bisscheroux continuent de vivre au « Musée Tchantchès », situé au numéro 56 de la rue Surlet en Outremeuse.

Notons également que le Musée de la Vie wallonne possède une remarquable collection du théâtre d'Antoine Houbiers (rue de l'abbaye à Seraing) où la plupart des marionnettes ont des têtes de Bisscheroux et des corps d'Houbiers.

Le reste de la collection de Bisscheroux est répartie entre différents collectionneurs, tous amateurs du travail de ce sculpteur d'exception.

Enfin, en 1998, sur une idée de Jules Defrance, peintre publicitaire et aficionado-collectionneur de marionnettes, la pièce « Denis Bisscheroux » (2 actes et 8 tableaux) est créée par le « Théâtre de Marionnettes de Mabotte » avec, dans le rôle de Bisscheroux, le comédien Fernand Tilman. Pour l'occasion, Monsieur Defrance prête des marionnettes issue de sa collection et sculptées par Bisscheroux.

Guillaume ANCION, planket au théâtre de marionnettes du Musée de la Vie wallonne

Légendes des illustrations :

1. Portrait de Denis Bisscheroux devant son théâtre en 1955, archive Musée de la Vie wallonne

2. Photographie d'un groupe de marionnettes liégeoises, en Roture, archive Musée de la Vie wallonne

3. Marionnette liégeoise de la joue Bisscheroux - Houbiers figurant Charlemagne, collection Musée de la Vie wallonne

4. D. Bisscheroux sculptant, documentaire consacré à la tradition des marionnettes à tringle dans les théâtres liégeois, notamment au Théâtre Royal ancien Impérial et au Musée de la Vie wallonne, vers 1958-1959

5. Enseigne Théâtre Royal ancien Impérial, documentaire consacré à la tradition des marionnettes à tringle dans les théâtres liégeois, notamment au Théâtre Royal ancien Impérial et au Musée de la Vie wallonne, vers 1958-1959

6. Photocopie d'un contrat liant Denis Bischeroux, joueur de marionnettes liégeoises à Edmond Schoonbroodt, avocat, 1925, archive du Musée de la Vie wallonne

7. Marionnette liégeoise de la joue Bisscheroux - Houbiers figurant le païen Mandricart, collection du Musée de la Vie wallonne

Bibliographie :

Livres :

Marionnettes, collections du musée de la Vie Wallonne, les éditions de la province de Liège, 2018

Au royaume des marionnettes, étude de folklore sur le théâtre des marionnettes à Liège, Rodolphe De Warsage, 1899

Les belles heures de l'ïle d'Outremeuse, Jean Jour, éditions libro-sciences, 1980

Article :

Marcatchou (Jean-Denys Boussard) - Vlan le 22/04/98

Site web :

www.tchantchès.be (consultation novembre 2022)

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